À l’origine de nos alpages: une association parfois houleuse entre moines et paysans

Origine des alpages de Savoie

C'est au Moyen-Âge que les communautés religieuses et les montagnards s'unirent, le plus souvent de manière contrainte, pour dessiner le visage de nos alpages tel que nous le connaissons à l’heure actuelle.

La situation au début du Moyen-Âge

A la fin du 11ème siècle, les seigneurs vivent dans les plaines en bordure des lacs ou des rivières. Les forêts denses des vallées au-dessus sont leurs domaines de chasse réservés.
Les paysans sont quant à eux relégués plus haut, dans les hautes vallées. Ils vont y obtenir le droit de défricher ces espaces en altitude à la fois pour faire pâturer les troupeaux des seigneurs et sans doute de certains de leurs vassaux qui pratiquaient l’estive depuis les basses vallées mais aussi pour pouvoir les utiliser moyennant le versement d’un droit d’usage.
Après 1250, l’occupation des hautes vallées devient beaucoup plus dense et est concomitante à l’implantation des religieux. L’économie montagnarde telle qu’elle existera jusqu’à la fin du 18ème siècle est en place

La situation au début du Moyen-Âge

A la fin du 11ème siècle, les seigneurs vivent dans les plaines en bordure des lacs ou des rivières. Les forêts denses des vallées au-dessus sont leurs domaines de chasse réservés.
Les paysans sont quant à eux relégués plus haut, dans les hautes vallées. Ils vont y obtenir le droit de défricher ces espaces en altitude à la fois pour faire pâturer les troupeaux des seigneurs et sans doute de certains de leurs vassaux qui pratiquaient l’estive depuis les basses vallées mais aussi pour pouvoir les utiliser moyennant le versement d’un droit d’usage.
Après 1250, l’occupation des hautes vallées devient beaucoup plus dense et est concomitante à l’implantation des religieux. L’économie montagnarde telle qu’elle existera jusqu’à la fin du 18ème siècle est en place

L'installation des communautés religieuses

Les ordres religieux se sont implantés dans les hautes vallées des massifs savoyards à partir du 11ème et surtout 12ème siècle, à la faveur de donations effectuées par de grands laïcs, les comtes de Genève et de Savoie, les sires de Faucigny et leurs vassaux.
En vue de garantir la paix de leur âme et d’honorer leurs religieux, les seigneurs locaux leur cédèrent des possessions tels que des prés, pâturages, forêts, cours d’eau, montagnes, collines et plaines cultivées ou non. Mais également des bâtiments, tels que des chalets, moulins, granges…
Ces zones alpines étaient alors plus densément occupées et exploitées par l’homme que celle des hautes vallées qui restaient des terrains de chasse seigneuriaux.
Face à cet afflux de richesses, les communautés religieuses s’étoffent. Des abbayes s’édifient un peu partout sur le territoire puis, devenant elles même surpeuplées, essaiment en abbayes-filles.
Les moines font venir des convers* et des colons pour assurer les travaux d’entretien de leurs biens, participant ainsi à la colonisation et au peuplement des territoires des hautes vallées.
Ils entretiennent les montagnes acquises, les équipent de granges, étables et fruitières bâties en dur et rationnalisent les méthodes d’élevage et de fabrication des fromages.
Les religieux élargissent leurs possessions jusqu’au milieu du 13ème siècle, de plus en plus souvent grâce à des achats ou des échanges avec d’autres communautés et de moins en moins grâce à des donations.
Les acquisitions d’alpages, particulièrement nombreuses, révèlent l’importance de la place tenue par ces espaces dans l’économie de ces hautes vallées.
Ainsi, progressivement les moines réduisent les enclaves et agrandissent le noyau initial pour former un domaine d’altitude vaste et cohérent

Moines, alpages et paysans à la fin du Moyen-Âge

Il semble maintenant prouvé que dans presque tous les cas, les alpages donnés aux monastères bénéficiaient déjà d’une exploitation par les montagnards qui pouvait être très ancienne. À la suite de ces acquisitions, les différents ordres religieux ne se comportèrent pas tous d’une manière identique: certains n’ont pas systématiquement cherché à évincer les autres éleveurs, nobles ou paysans. D’autres, en revanche, ont eu une conception beaucoup plus radicale de leurs droits!
Si les chartes de donation ne s’embarrassaient guère des droits des paysans, plusieurs affaires montrent que, de leur côté, ces derniers n’acceptaient pas facilement leur éviction des montagnes que leurs pères avaient travaillées. Des sources exclusivement monastiques conservent les témoignages des actions menées par les montagnards pour défendre ou reconquérir leurs droits. Partout, violences, procès et accords précaires se succédèrent.
De ce fait, malgré la vision angéliste transmise bien souvent par les traditions locales, les relations entre les moines et les communautés rurales voisines furent généralement médiocres voire exécrables.

La transmission des alpages aux paysans

Ce n’est qu’au 14ème-15ème siècle que les montagnards obtinrent des chartes d’albergement* officielles leur ouvrant certaines montagnes monastiques.
Avec la pression démographique croissante à la fin du 13ème siècle et l’exploitation de plus en plus intensive des alpages, les seigneurs laïcs puis les monastères qui avaient tous besoin d’argent, ont eu l’idée de vendre aux communautés paysannes la sécurité, en leur proposant d’échanger des droits d’usage purement coutumiers contre un contrat emphytéotique en bonne et due forme leur offrant une quasi propriété des pâturages d’altitude.
Pourtant, l’ouverture des alpages aux communautés montagnardes ne suffit pas à ramener la concorde entre les deux groupes. Les contestations se déplacèrent du problème de l’accès aux montagnes à celui de l’exécution du contrat d’albergement.
L’entretien des chalets et du gros matériel comme les chaudières, ces grosses marmites où se faisait la production fromagère, le paiement de l’auciège, cette redevance typique des alpages, exprimée habituellement en nombre de jours de production fromagère et qui était à la fois une redevance foncière et une banalité, donnèrent par la suite lieu à des contestations répétées.
Les conflits furent parfois très violents, au point qu’à Chamonix et Abondance le sang a coulé.
Ainsi de procès en procès, la pression paysanne sur les alpages monastiques ne se relâcha guère jusqu’à la révolution française, où communes et sociétés d’alpages restèrent alors seules en lice.

Si les religieux n’ont certainement pas eu le rôle principal dans la création des alpages, ils ont eu le mérite d’attirer une part de croissance démographique vers les hautes vallées et d’assurer l’exploitation directe de ces domaines montagnards.
Mais l’essentiel du travail de création puis d’entretien des alpages fut assuré par des générations de paysans.

*convers: moines qui n’étaient pas soumis à la Règle majeure de l’Ordre, mais à un règlement mineur (les us et coutumes) et qui assuraient les tâches matérielles permettant à la communauté de subvenir à ses besoins.
*albergement: hébergement

Sources:

Moines et paysans sur les alpages de Savoie ( XIème-XIIIème siècle): mythe et réalité
Fabrice Mouthon

Les moines et la montagne en Savoie du Nord (XIe-XVe siècle) Nicolas Carrier.

.